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Interview : Ambre de L’alpe

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A mi-chemin entre poésie et photographie, elle nous immerge dans un univers onirique avec la montagne comme toile de fond. Ce mois-ci, nous vous emmenons à la rencontre d’Ambre de l’AlPe.

Peux-tu te présenter ?

Bonjour, Oui, je peux essayer ! Je me surnomme Ambre de l’AlPe et suis photographe « professionnelle » depuis 2013. (Je mets « professionnelle » entre guillemets car je connais plusieurs « amateurs » qui font des photos fantastiques !) Je suis aussi Accompagnatrice en Montagne depuis 2016. J’organise quelques stages photos et fais pour le moment pas mal d’expositions en festivals « photo nature ». La photo et les montagnes m’ont toujours attirée, et quand j’étais enfant mon premier appareil me permettait d’emporter des fragments de vacances avec moi, de garder un souvenir et de rendre hommage aux endroits magnifiques où j’avais l’occasion de randonner en été… et que je ne revoyais pas le reste du temps. Car, paradoxalement, j’ai passé les 20 premières années de ma vie dans la plaine d’Alsace, en pleine ville, à Strasbourg.

J’ai une approche très peu technique de la photo. À l’origine, mon idée était vraiment de retranscrire des instants vécus, des atmosphères particulières, du ressenti… Quelque chose d’assez instinctif. Et j’étais très frustrée de me retrouvée bloquée par des paramètres techniques. Je me souviens de ma première nuit en refuge de haute montagne : j’avais 13 ans, on partait le lendemain faire une ascension facile. Au réveil, à 4h, le ciel était criblé d’étoiles, je n’en avais jamais vu de tel. Avec mon petit appareil, j’ai essayé de l’immortaliser, c’était si beau…. Mais sur la photo, on ne voyait rien ! Il m’a fallu un moment pour comprendre qu’un appareil peut voir complètement différemment d’un œil humain, et que si la vue reste le premier outil du photographe, connaître un micromum son matériel est souvent nécessaire.

D’abord, la photo a juste été une « passion », comme j’en avais d’autres. La montagne, l’équitation, la musique, … J’étais dans un cursus scolaire classique et l’idée d’en faire mon « métier » ne m’a pas tout de suite effleuré l’esprit. C’est lors de mon entrée à la fac, après avoir passé un bac S, que je me suis définitivement rendue compte que mon univers était plus proche de la nature que des amphis. Par une succession rencontres et de hasards, j’ai eu l’occasion de faire quelques voyages. J’ai passé des semaines en montagne, multiplié les bivouacs, … et décidé de tout lâcher pour essayer d’avoir une vie plus sensée, en symbiose avec ce qui me semblait important et captivant.

J’ai quitté Strasbourg et suis partie m’installer en habitat léger avec des amis dans un collectif drômois pendant quelques années. Je vivais dans une alternance entre photo et activités saisonnières (maraîchage, récoltes, marché de Noël…) : notre façon de vivre ne coûtant pas très cher, elle nous laissait beaucoup de temps libre pour apprendre, partager et viser l’autonomie. Depuis quelques années, je suis installée vers Grenoble, au milieu des montagnes qui m’attirent depuis tant de temps.

Qu'est-ce que tu aimes photographier ?

Presque tout ! Mais ma préférence va aux sujets naturels, et principalement aux paysages, aussi peu affectés que possible par l’empreinte humaine. J’apprécie particulièrement les levers ou coucher de soleil en montagne… et les teintes automnales, cette période de l’année où l’on retrouve au sol des couleurs qui, le reste du temps, n’apparaissent que furtivement dans le ciel au crépuscule où à l’aube.

C’est un ensemble avec ce que j’aime vivre : je me sens bien plus « chez moi » dans ces lieux austères et sublimes que dans un environnement citadin. Les massifs montagneux me semblent une jolie métaphore de la vie : le temps y est changeant, on y atteint des cimes, des passages et des failles, souvent la lumière côtoie des nuées sombres …

Des conseils pour ce type de sujet ?

Se donner les moyens de sortir, de dormir dehors pour être au bon endroit au bon moment. En ne sortant qu’en journée et/ou en été, on passe à côté des plus belles lumières…. Réussir à accepter le fait que justement, on ne peut pas être « au bon endroit au bon moment » à toutes les sorties, et que parfois, les éléments ne sont pas avec nous… Ça rend d’autant plus magiques les instants où tout semble parfait !
Pour éviter de faire comme moi à mes débuts, essayer de maîtriser un peu son appareil avant de partir. (Profondeur de champ, angles, sensibilité… selon ce qu’on veut montrer !) Mais bon, j’aime bien penser qu’on retient mieux en expérimentant sur place…

Je suis assez sensible au fait que la photographie ne doit pas être un but en soit mais juste un vecteur pour faire passer un message. Ça peut être la retranscription d’une émotion, la nécessité de préserver et respecter la Nature en en illustrant la beauté… Pour moi, la Nature n’est pas un « produit » pour permettre de s’en sortir grâce à la photo ou d’épater ses amis. C’est la base, la trame du monde, … et afin que chacun puisse continuer à avoir le plaisir de photographier ces paysages géniaux, il me semble plus que nécessaire que chacun les respecte. Quitte à louper une bonne photo… Même si c’est frustrant ! Bon, du coup, je suis une commerciale épouvantable. Mais je recherche vraiment la cohérence : pour moi, c’est le plus important. Et c’est aussi quelque part ce qui permet d’apprécier au mieux la valeur des sorties.

Qu'y a-t-il dans le sac photo d'Ambre ?

Bonne question… Une partie de mon sac photo se retrouve en général dans mon sac de rando… quand ce n’est pas tout le sac photo hormis l’appareil. Du coup, je pourrais lister l’équipement de rando-photo-bivouac, mais ce serait peut-être un peu long ! En matière de matériel, j’ai un boîtier canon 5D mark III, que j’utilise le plus souvent avec un grand angle : très longtemps le canon 17-40 f/4, et depuis peu le 16-35 f/4.

J’aime aussi beaucoup chercher des détails dans les paysages, et avoir la possibilité de photographier les animaux ou les fleurs que je croise lorsque l’occasion s’y prête. Pour ça, j’utilise le Sigma 150-600 f/5-6.3 (version sport)… ou le Canon 100-400 f/4.5-5.6. Suivant le poids du reste du sac, et sa disponibilité -le Canon appartient à mon compagnon !
En marchant, j’aime bien avoir un objectif léger sur le boîtier : c’est le plus souvent le 85 mm f/1.8. Je l’apprécie beaucoup, il est bien lumineux, a un joli bokeh et permet d’essayer d’être créatif et/ou réactif en marchant. Pour la photo de nuit, j’ai un Samyang 14mm f/2.8. C’était le meilleur compromis entre poids, qualité et prix !

Depuis quelques années, j’ai rempli le « trou » que j’avais entre l’ultra-grand-angle et le 85 mm, avec un Canon 24-70 mm f/2.8. Cet objectif est génial… mais c’est une enclume. Pour cette raison, je ne l’emporte pas à tous les coups. Avec tout ce barda, j’emporte aussi un trépied Manfrotto en carbone, quelques filtres (polarisant, dégradés) trop rayés, et une télécommande -et une robe- pour tenter de me mettre en scène si l’inspiration est de la partie.
Bref, mon sac est trop lourd. D’autant plus que j’ai vraiment du mal à laisser une partie du matériel à la maison et à accepter que je ne pourrai pas « exploiter » toutes les situations qui pourraient se présenter.

Un souvenir marquant, une anecdote ?

Il y en a beaucoup ! En voici deux :

• Un ancien, datant de 2011, une période où j’ai eu la chance de faire quelques voyages : Nous voici en avril, en Patagonie. Là-bas, c’est l’automne. Nous sommes trois : Alexandre (Deschaumes), Cyril (un ami d’Alexandre) et moi. Nous avons planté notre tente à côté d’un refuge déjà fermé. Le soir, le thermomètre affiche -6°C, on est fatigué et donc coup un peu congelé. Au milieu de la nuit, j’entends Cyril se rendre compte que son matelas gonflable est troué. Une fermeture éclair s’ouvre. Je pense qu’il jette juste un oeil dehors… et re-sombre.
Le réveil sonne à 5h30. Départ prévu pour monter à un point de vue avant l’aube. Cyril n’est plus dans la tente… Étrange ! Alexandre pense qu’il est allé faire un tour. En creusant dans mes souvenirs, je me rappelle vaguement qu’il était 3h37 lorsque je l’ai entendu bouger. … Deux heures tout seul dans la nuit ?

On sort en éclairant les alentours. Alex croit apercevoir la frontale de Cyril : effectivement, il y a une lumière à quelques mètres… « C’est lui là, non ? » Un signe de la main … Et la lumière en face se dédouble. Ce sont des yeux qui nous fixent. D’un commun mouvement -certes un peu bête- nous plongeons dans la tente, alors que la silhouette d’un puma passe doucement à une dizaine de mètres…
Au bout d’un moment, on ressort. Plus rien ne bouge, mais pas de trace de Cyril non plus. On fait un tour sans rien voir. A l’entrée du refuge, à côté des sacs, un cahier ouvert avec un mot écrit au charbon : « e suis DEDANS refuge Merci de taper à la fenêtre marqué > Cy ». Cy ? Pas vu. On refait le tour du refuge, en tapant à toutes les fenêtres. Pour en rajouter à l’ambiance, les ouvertures sont barricadées de tôle jusqu’à la prochaine saison. Le bruit lugubre résonne dans la forêt. On commence à se croire dans un film…

Aux 9-10èmes du tour, « ***Cy*** ». Ouf ! On frappe bien fort, on tambourine, et quelque chose remue à l’intérieur. Comment est-il entré là ?! Au bout d’un moment qui nous parait très long, le voilà, géant entrain d’essayer de refermer une minuscule lucarne rectangulaire, fendue, perchée très haut sur le mur. Lui aussi a vu les yeux, et avait plongé dans le refuge par cette issue restée entrouverte…

• Un récent, de cet été…
D’abord, il faut savoir que quand je suis seule, je préfère largement dormir dans un endroit inconfortable depuis lequel la vue est belle, et ne pas ou peu avoir à marcher avant le lever du soleil -plutôt que de poser le camp dans un lieu plus confortable et plus éloigné des points de vue.

Lorsque la météo s’annonce belle, je ne prends souvent pas de tente. Ce soir là, j’avais donc étalé mon tapis de sol sur une sorte de mini-terrasse dans une faille effondrée, le genre de géologie curieuse que l’on trouve dans les massifs calcaires. Très peu de place, mais presque assez pour s’allonger de façon rectiligne et à l’abri du vent. Tout le reste du versant étant en pente ou couvert de rochers, ce petit replat bossu me paraissait très accueillant.
J’apprécie de voir la nuit tomber, et de profiter jusqu’au dernier moment des dernières lueurs. J’allume donc souvent ma frontale tardivement. Cette nuit là, le crépuscule s’éteint, je n’y vois presque plus rien… j’allume ma lampe…. et entends au même instant un bruit vers le fond de la « faille »/cuvette. C’est comme si quelqu’un marchait. Ayant une fâcheuse tendance à me faire des films… je me dis que mon imagination me joue des tours et que je vais respirer un grand coup : pour sûr, c’est juste un caillou qui a dégringolé plus bas.

Mais non, le bruit insiste, il se rapproche, il y a vraiment quelque chose. Quelqu’un qui prendrait ma frontale en repère ? Cette synchronicité est insensée. Bizarre… Le bruit se fait plus puissant, des pierres roulent et s’entrechoquent, et je ne distingue toujours qu’un seul bruit de pas. Mais énorme, comme si un éléphant avançait vers moi (!) Le son me parait être à quelques mètres. J’ose enfin lever la tête et éclairer le plus loin possible devant. L’éclat de ma frontale ne révèle d’abord rien. Je dirige le faisceau plus haut : il reflète une longue ligne d’yeux. Puis une bonne vingtaine de silhouettes aux larges cornes : un gros troupeau de grands mâles bouquetins, qui ont sans doute voulu, eux aussi, se mettre à l’abri du vent cinglant. Les plus proches sont à mois de 5 mètres.
Quelques secondes de flou : c’est pacifique, un bouquetin, mais euh, sachant qu’ils ne s’attendaient pas à me voir là, que je suis littéralement contre un rocher, que… Quelques uns baissent la tête et s’avancent encore en signe d’intimidation, deux-trois me sifflent dessus… Je n’ose pas bouger. Au bout de quelques secondes, je leur parle, en leur demandant s’ils pensent qu’on va pouvoir être colocs le temps d’une nuit.

Encore quelques secondes, et l’un des bouquetins prend l’initiative de sortir de la faille, doucement, lourdement, faisant rouler derrière lui quelques blocs. D’autres suivent, puis tout le groupe se met en branle, faisant dégringoler d’autres rochers vers le fond. Ils sont vraiment nombreux, une bonne quarantaine. Enfin, les derniers détournent les yeux de moi et rejoignent les autres. Pfiouf ! Étrangement, après, j’ai très bien dormi… mais sur le coup, je n’en menais pas large !

Des projets à venir ?

Oui, et déjà en cours ! L’an dernier, j’ai été l’une des heureux lauréats de la « Bourse IRIS – Terre Sauvage » (parrainée par Vincent Munier), qui permet à deux jeunes photographes de réaliser en 2020 le reportage de leur choix. Cette année a été un peu particulière et je n’ai pas pu réaliser de sorties au printemps, je vais donc prolonger le projet l’année prochaine… J’avais proposé « Le Dépaysement aux portes de chez vous » : Pour poser le contexte… Lors de mes expositions, j’ai pendant longtemps montré des photos du « bout du monde ».

Et je ne compte plus le nombre de fois où l’on m’a dit en somme que « c’est joli parce que c’est loin, et il faudrait que j’y aille aussi ! ». En bref, j’ai l’impression que l’on ne sait plus profiter et s’émerveiller de ce qui nous entoure. Il nous faut davantage, toujours plus loin, plus dépaysant. Je ne dis pas que je n’ai pas profité du temps passé en Patagonie, loin de là. Mais encourager les gens à voyager -loin, qui plus est- me pose un problème grandissant. Je ne supporte plus d’encourager indirectement la destruction de la planète dont j’essaye d’illustrer les merveilles. On vit dans une époque où au lieu de souhaiter protéger ce qui est beau, on préfère souvent se l’approprier.

J’ai pour le moment arrêté de voyager « loin » (c’est toujours subjectif, résumons en « je n’ai pas pris l’avion ») depuis 2013. En fait, on me voit souvent comme une grande globe-trotteuse mais je n’ai fait des voyages que sur 2 ans… C’était une période incroyable. Je n’avais qu’une envie : recommencer ! Mais j’avais choisis une vie « simple » dans laquelle je n’avais pas les moyens de me payer un nouveau billet d’avion, et je n’avais pas spécialement le cran de partir plus loin que quelques centaines de kilomètres à la ronde à vélo. J’ai mis quelques années de frustration à me rendre compte qu’en fait, c’était plus sensé comme ça, et qu’il y avait des choses géniales à vivre et à montrer qui n’étaient pas loin de chez moi…

Ce qui nous amène au projet en soi, dans la continuité de ce mode de vie, j’ai décidé d’illustrer les massifs qui m’entourent en me déplaçant uniquement de façon « propre » (vélo, marche). J’ai choisi un secteur dans chacun des principaux massifs qui jouxtent Grenoble, dans l’idée de montrer qu’un même lieu peut contenir une variété de paysages surprenante, et peut être extrêmement différent suivant la saison et les conditions météo qu’on y rencontre. Et surtout qu’avec bien peu de moyens et sans partir très loin de chez soi, on peut voir plein de choses et vivre des moments fantastiques…

Je sais que vous tenez une agence de voyages mes propos ne sont évidemment pas une critique contre vous. J’ai d’ailleurs vu que vous aviez mis en place un système de compensation, c’est chouette ! Il ne s’agit pas d’arrêter complètement de voyager, mais comme beaucoup de choses aujourd’hui, je pense qu’il faudrait réfléchir afin de se donner les moyens de faire les choses mieux -préférer les petites structures comme la vôtre en fait partie d’ailleurs- et moins souvent… Repenser notre façon de consommer le monde, en gros. Vaste programme (!)

Un mot pour la fin ?

Merci ? Et puis une citation, à mon habitude… : « Si une plante ne peut vivre selon sa nature, elle dépérit ; un homme de même. » – Henry David Thoreau

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